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“Traduttore, traditore”

Du traducteur traître au traducteur rebelle

 

Le célèbre adage italien torture à n’en pas douter la conscience de bon nombre de traducteurs, et les traducteurs juridiques n’en sont pas exclus. Mais qu’en est-il si, plutôt que de culpabiliser de sa supposée traîtrise, le traducteur juridique se muait en rebelle ?

 

En effet, si traduire c’est trahir, c’est nécessairement parce que la traduction implique une prise de distance par rapport au texte source au moment de le reformuler dans le texte d’arrivée. C’est dans cette prise de distance que s’immisce le savoir du traducteur.
Et ce savoir, nous semble-t-il, consiste dans la reconnaissance de la spécificité des deux langues en question, certains auteurs, évoquent le génie de la langue.

 

Cette reconnaissance du génie de la langue amène le traducteur à se rebeller contre une possible uniformisation des concepts et du style qui profite actuellement à la langue anglaise, langage commun dans le milieu des affaires et donc, non seulement, à trahir le texte source mais à le faire consciemment pour être plus fidèle à la langue d’arrivée et à son esprit.

 

En effet, une langue est le véhicule d’une culture, d’une manière de penser : parler deux langues c’est parler de deux mondes différents. La fidélité à ses deux visions du monde oblige le traducteur à trahir le texte et à s’interdire une fidélité servile au texte source.

 

Prenons un exemple, les anglais utilisent l’expression imagée “Act of god” pour parler des événements qui peuvent justifier l’inexécution d’une obligation contractuelle. La traduction littérale “Acte de Dieu” serait assez contraire à l’esprit laïc qui imprègne la société française d’aujourd’hui. Le choix qui s’imposerait évidemment au traducteur serait celui de la “Force majeure”. Autre exemple éloquent, le standard anglais utilisé en droit de la responsabilité civile pour déterminer l’existence ou non d’une faute “the man on the Clapham omnibus”. Cette expression, qui désigne l’homme ordinaire, est extrêmement liée à l’histoire londonienne et reflète l’esprit davantage intuitif et imagé des Anglais. Le juge français n’utilisera pas un standard fondé sur un élément aussi contingent mais plutôt un concept davantage abstrait reflétant l’esprit cartésien propre à la langue française, d’où l’expression du “bon père de famille”.

 

Par conséquent, cette obligation de prise en compte de la culture des deux systèmes juridiques suppose une liberté d’interprétation et de reformulation assez grande du traducteur.

 

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